Ce mois-ci, Urban lance la première salve de titres DC Absolute. Pour rappel, il s'agit d'une nouvelle collection qui propose de découvrir de nouvelles versions des grands héros DC. Avec Absolute Batman et Absolute Wonder Woman (chroniqué ici par l'indispensable Doop), Absolute Superman est le troisième titre proposé. Qu'en avons-nous pensé ?
Un personnage fidèle à ses premières valeurs
Urban présente les titres Absolute comme "les mondes corrompus de DC". Avec une telle introduction, on aurait pu craindre que les séries se jettent dans la violence la plus sombre et le dark le plus crapoteux. Il n'en ait rien. Si Absolute Superman a effectivement un ton beaucoup moins souriant que les titres Superman habituels, le scénariste Jason Aaron s'est bien gardé de réinventer le héros kryptonien à la sauce justicier sans pitié. Au contraire, il s'est même souvenu qu'à ses débuts en 1938, Superman était un véritable héros du peuple.
Lorsque Jerry Siegel et Joe Shuster créent Superman en 1938, ils le représentent d'abord comme un héros proche des petites gens, "sauveur des laissés-pour-compte et des opprimés". Corollaire, dans ses premières aventures, le héros n'hésite pas à s'attaquer à l'establishment, forçant la porte de la maison d'un gouverneur pour obtenir la grâce d'une condamnée à mort injustement accusée ou s'attaquant à des lobbyistes soudoyant un sénateur pour lancer une guerre dans leurs propres intérêts économiques. Au fil du temps, cet aspect sera pourtant gommé. D'abord parce que l'augmentation progressive de ses pouvoirs va amener les scénaristes à opposer Superman à des menaces plus science-fictives, capable de mettre ses prouesses en valeurs. Ensuite, parce que le succès commercial du personnage va placer les éditeurs en porte-à-faux. Difficile de critiquer le système capitaliste quand ceux-ci en profite largement. Enfin, l'entrée des Etats-Unis en guerre va finir de lisser un personnage qui deviendra le symbole d'unité d'une nation plutôt qu'un dangereux activiste révolutionnaire.
Lorsque Grant Morisson relance Superman durant le New 52 en 2011, il tentera de remettre cet élément au goût du jour présentant dans les pages d'Action Comics un jeune Superman en jean/T-shirt s'attachant plus à défendre la veuve et l'orphelin dans les quartiers pauvres qu'à combattre les menaces extra-terrestres. Là aussi, la séquence sera de courte durée, Morrisson restant finalement peu de temps et ne daignant pas communiquer sa feuille de route aux autres scénaristes. L'expérience restera lettre morte, mais, avec Absolute Superman, Jason Aaron reprend un peu la même logique.
"Et je me rappelai que je m'étais juré... que peu importe le monde sur lequel nous nous retrouverions... nous le rendrions meilleur que celui-ci."
Aaron et le dessinateur Rafa Sandoval nous emmènent sur une Terre dominée par la toute-puissante Lazarus Corp, une méga-corporation qui exploite ressources naturelles et travailleurs dans le monde entier. Pour asseoir son contrôle sur la population, l'entreprise peut compter sur une force para-militaire ultra-équipée dont les membres sont nommés les Peacemakers (littéralement, les faiseurs de paix, et dont le design est repris du Peacemaker popularisé par John Cena. Christopher Smith est d'ailleurs bien présent dans ce monde) et sur une intelligence artificielle connue sous le nom de Brainiac. Mais depuis peu, Lazarus est la cible d'attaques d'un jeune homme seul, un être surhumain qui protège les ouvriers et met à bas les industries trop polluantes. D'Inde en Égypte, du Brésil jusqu'au Botswana, le nom de Superman est murmuré par les opprimés dans tous les bidonvilles.
De la Terre à Krypton, le même combat
Le portrait qu'Aaron fait du personnage est particulièrement intéressant. Moins âgé que son homologue de la continuité habituelle, il a pour lui la fougue et l'idéalisme de la jeunesse. Qui plus est, il n'atterrit pas sur Terre alors qu'il n'est qu'un nourrisson, mais déjà un adolescent avec les souvenirs encore bien vivaces de sa planète natale, Krypton, et de ses parents, Jor et Lara. La tragédie qui s'y est jouée marque profondément le jeune homme et sa façon de faire. On passe ainsi du héros symbolique du melting pot américain à un véritable citoyen du monde, beaucoup plus impulsif et proactif que son homologue, prêt à en découdre pour que les erreurs de son monde natal ne se reproduisent sur sa terre d'adoption. Un Superboy altermondialiste, en quelque sorte.
Là aussi, le portrait de Krypton diffère du canon habituel. S'il s'agit toujours d'un monde dominé par la science, Aaron et Sandoval nous font d'abord et avant tout le portrait d'une société profondément inégalitaire, constituée en castes. Les scientifiques y forment le groupe dominant, gardant jalousement le savoir et la connaissance pour leur propre usage : conforter leur pouvoir et leur ascendant. Au bas de l'échelle, ce sont les travailleurs, les manuels, les El, portant comme symbole ce que l'on pourrait prendre pour un S stylisé. Pour avoir remis en cause les diktats de leur société, les parents de Kal, bien que brillants, sont relégués dans cette guilde. Pour autant, Jor ne continue pas moins ses recherches et découvre que l'exploitation outrancière de Krypton a condamné la planète. Ses alertes restant sans réponses, il décide d'organiser un plan de sauvetage avec son épouse. Ingénieure, Lara développe un vaisseau et des combinaisons de protection pour sauver un maximun d'habitants. Mais le plan échafaudé n'aura pas le temps d'être efficace. Krypton se meurt bien trop vite et explose, alors même que la guilde scientifique a, elle, était évacuée dans le plus grand secret !
"J'aime me dire qu'au cours de ces dernières heures, des Kryptoniens, quelque part, se sont efforcés d'aider les autres. Et qu'il n'y eut pas qu'un gamin sauvé par son chien."
Le chapitre 5 de l'album, qui présente la fin de la planète racontée par Kal, est d'ailleurs un petit bijou d'écriture, qui vaudrait à lui seul l'achat de l'album, mais ce serait oublié tout le reste. Jason Aaron fait feu de tout bois : rythme, idées, dialogues, etc. Tout est au service d'une relecture parfaitement excitante, à la fois innovante, mais aussi complètement respectueuse des personnages. La version de Lois ici présentée en est un parfait exemple. Très loin de la journaliste en pâmoison devant le Kryptonien, mais avec quelques détails bien sentis, elle est, pourtant, la Lois que nous connaissons.
Et ce tableau ne serait pas complet sans mettre en avant l'excellent travail graphique de Sandoval et du coloriste Ulisses Arreola qui livrent un redesign réussi du costume de Superman et des planches superbes, notamment toutes celles se déroulant sur Krypton. Avec Absolute Superman, DC démontre donc avec panache que son label est loin d'être une lubie marketing, mais qu'il y a encore des choses passionnantes à raconter, même avec des personnages octogénaires, pour peu qu'on laisse le champ libre à des auteurs passionnés. Une lecture hautement recommandée. Vous y retrouverez, à n'en point douter, l'esprit Superman !
De Jason Aaron et Rafa Sandoval
Traduit par Laurent Queyssi
30/05/2025 – Relié – 144 pages – 18,00€
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Que serait devenu Superman s'il avait été élevé sur Krypton ? S'il avait dû fuir sa famille pour échapper au destin tragique de sa civilisation ? S'il n'avait pas reçu le code moral de la famille humaine des Kent ? C'est ce que propose de découvrir ce récit mettant en scène l'histoire épique et tragique du dernier fils de Krypton dans un univers plus sombre et réaliste !
Contient : Absolute Superman (DC Comics, 2024) #1-5
De Jason Aaron et Rafa Sandoval
Traduit par Laurent Queyssi
30/05/2025 – Relié – 144 pages – 18,00€
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Que serait devenu Superman s'il avait été élevé sur Krypton ? S'il avait dû fuir sa famille pour échapper au destin tragique de sa civilisation ? S'il n'avait pas reçu le code moral de la famille humaine des Kent ? C'est ce que propose de découvrir ce récit mettant en scène l'histoire épique et tragique du dernier fils de Krypton dans un univers plus sombre et réaliste !
Contient : Absolute Superman (DC Comics, 2024) #1-5