En mars prochain débutera une nouvelle maxi-série consacrée au Punisher. Écrite par Jason Aaron, elle devrait permettre de résoudre un problème qui embête bien Marvel Comics depuis quelques années. Le personnage était devenu difficile à manipuler à cause de son logo. La fameuse tête de mort qui orne le costume du justicier est, en effet, devenu un symbole particulièrement connoté. Retour sur l'histoire d'une figure fictive, qui à l'instar du masque de V for Vendetta, a envahi le monde réel.

Création d'un anti-héros

Le Punisher est un personnage créé en 1973 dans les pages d'Amazing Spider-Man #129 par le scénariste Gerry Conway et le dessinateur Ross Andru. Il est présenté comme un justicier qui souhaite éliminer les criminels et il est manipulé par The Jackal (le Chacal) qui lui fait croire que Spider-Man est un assassin. Dès le départ, les bases sont donc posées. Le Punisher est un anti-héros. Il souhaite faire le bien, mais utilise des méthodes expéditives que réprouvent les autres héros de l'univers Marvel, comme Spider-Man ou Daredevil dont il va devenir une guest-star régulière dans leurs séries. Gerry Conway se souvient que son inspiration principale pour le personnage fut Mack Bolan, le "héros" des livres de Don Pembleton, la série de "L'Exécuteur" (publié chez Plon dans la collection "Gérard de Villiers présente" que les amateurs de littérature de gare connaissent bien). Bolan est un ancien soldat du Vietnam qui, de retour au pays, entreprend de dézinguer la mafia à lui tout seul. Un trope qui va devenir très populaire au cours de cette décennie 70, notamment avec les figures de Rambo (le roman First Blood de David Morell date de 1972) et de Charles Bronson dans Un Justicier dans la ville (Deathwish, 1974) et qui servira tel quel pour le Punisher. Marqué par la mort de sa famille en plein Central Park à cause d'une guerre de gang, l'ancien marine Frank Castle devient un vigilante, un justicier qui n'hésite pas à tuer ceux qu'il estime être des criminels. Conway se rappelle que c'est lui qui avait imaginé une première esquisse du costume de ce personnage avec le crâne sur le torse et que c'est le directeur artistique de Marvel de l'époque, John Romita, qui le finalisa en agrandissant la tête de mort.

Au fil des années, le personnage gagnera en popularité. La fin des années 80, années reaganiennes si il en est, le verra enfin gagner sa propre revue avec une première mini-série à son nom en 1986 (par Steven Grant et Mike Zeck) et une série mensuelle dès l'année suivante (par Mike Baron et Klaus Janson). Son succès est tel que deux autres titres réguliers viendront s'ajouter, Punisher War Journal (par Carl Potts et un Jim Lee débutant) et Punisher War Zone (par Chuck Dixon et John Romita Jr.). Sans pouvoirs, mais utilisant un arsenal conséquent, le Punisher attirera bien entendu l'attention des lecteurs fans d'armes à feu, certains faisant partis des forces de l'ordre ou de l'armée, qui rempliront les courriers de lecteurs de considérations techniques sur les armes utilisées. Consécration en 1989, un film d'action avec Dolph Lundgren sera même sur les écrans  sans que – curiosité – le fameux logo n'apparaisse jamais.

Couverture d'Amazing Spider-Man #129 par Gil Kane et John Romita (Marvel Comics).

Un symbole qui s'introduit dans la réalité

Si le crâne du Punisher se limitera à n'être qu'un modèle de tatouage pour fan de comics en mal d'inspiration pendant très longtemps, il finira par prendre une toute autre dimension au début des années 2000. En 2003, alors que les États-Unis interviennent à nouveau en Irak à la suite des attentats du 11 septembre 2001, la tête de mort stylisée va devenir particulièrement populaire au sein des soldats américains, notamment au sein des Navy Seals. Le sniper Chris Kyle, qui deviendra célèbre par ses performances de tireur, témoigne ainsi dans son livre autobiographique, American Sniper: "Nous nous surnommions les Punishers. (...) [Le Punisher] redressait des torts. Il tuait des méchants. Il faisait en sorte que les malfaisants le craignent... C'est exactement ce que nous faisions. Alors nous avons adapté son symbole et nous nous le sommes appropriés, avec quelques modifications.  Nous l'avons peint à la bombe sur nos Hummers, nos gilets pare-balles, nos casques et toutes nos armes. Nous l'avons peint sur tout les murs que nous pouvions, parce que nous voulions que les gens sachent : "Nous sommes là et nous voulons vous faire chier."  C'était notre version de la guerre psychologique. "Vous nous voyez ? Nous sommes ceux qui vous botte les fesses. Craignez-nous, parce qu'on va vous tuer, bande de fils de putes. Vous êtes mauvais. Nous le sommes encore plus. Nous sommes de vrais enfoirés."" Non seulement la marque du justicier sera utilisée par les soldats américains, mais elle sera aussi adoptée par les forces de sécurité irakiennes formées par ces derniers.

Ryan “Biggles” Job (Jake McDorman) lit un numéro du Punisher dans le film qui adapte le livre de Chris Kyle, American Sniper (Clint Eastwood, 2014).

De retour au pays, une partie des soldats américains intègrent traditionnellement les forces de police qui adoptent donc, petit à petit, le symbole. Une mode portée, qui plus est, par la sortie d'un deuxième film, The Punisher (Jonathan Hensleigh, 2004) avec Thomas Jane. Dès 2004, des rumeurs courent sur un groupe de policiers violents, agissant au sein de la police de Milwaukee, se surnommant les Punishers, portant l'insigne du héros sur leur gants, leurs voitures ou en tatouage. Ils seraient à l'origine du passage à tabac d'un métis américain, Frank Jude Jr. Ils auraient agit jusqu'en 2007, malgré de nombreuses procédures et enquêtes qui les ciblaient.

L'insigne gagnera encore en popularité avec le mouvement "Blue Lives Matter". Initié en réponse à celui du "Black Lives Matter" qui pointait du doigt les violences policières à l'encontre des noirs-américains, une partie de la droite américaine prend le meurtre de deux policiers, à New York fin 2014, comme exemple des "crimes de haine" dont seraient victimes les représentants de la loi. Là aussi, le logo sera utilisé par des policiers pour signifier leur soutien. A plusieurs reprises, des services de police sont ainsi sommés par leur hiérarchie d'enlever le fameux symbole de leurs voitures de patrouilles ou de leurs uniformes, comme à Solvay (dans la région de New York), Cattlesburg (Kentucky), à Saint Louis (Missouri) ou même à Toronto au Canada. L'apparition du personnage dans les séries Netflix Daredevil et Punisher, interprété par Jon Bernthal, va également relancer l'attirance pour la croisade violente de Franck Castle.

Sous les années Trump, le crâne devient ainsi une bannière de rassemblement pour toute une frange de l'ultra-droite américaine: les milices paramilitaires, les survivalistes, les adeptes des armes à  feu, les suprématistes blancs ou les adhérents des thèses complotistes de QAnon. Sean Hannity, présentateur sur Fox News, chaîne droitière si il en est, l'arbora régulièrement au revers de sa veste. À Charlottesville, des manifestants d'extrême droite seront vus avec, tout comme les manifestants pro-Trump qui ont envahit le Capitole le 06 janvier 2021. Ce sera clairement un tournant pour Marvel Comics.

Un des envahisseurs du Capitole, arborant le sigle du Punisher (Win McNamee/Getty Images)

Une utilisation combattue

Tant que le sigle du Punisher était utilisé par des soldats ou des policiers,  la maison d'édition pouvait toujours s'en féliciter. Et de fait, pendant longtemps, la seule réponse de Marvel à cette récupération sera d'ordre purement commerciale. L'entreprise pourchassera en effet en justice plusieurs vendeurs de produits en ligne (généralement d'accessoires militaires) qui ont tenté d'utiliser le logo (ou un approchant) sur leurs produits, comme Molon Labe en 2015, Loyalty Bound LLC en 2017 ou encore Three Percent Nation LLC en 2018. Le seul objectif est alors d'empêcher le détournement d'une marque déposée.

En revanche, le co-créateur du personnage, Gerry Conway, lui, se montrera plus vocal. En 2019, il fait savoir sa désapprobation : "Pour moi, il est troublant de voir des figures d'autorité adopter l'iconographie du Punisher, car ce dernier représente un échec du système judiciaire. Il est censé dénoncer l'effondrement de l'autorité morale et sociale et le fait que certaines personnes ne peuvent pas compter sur des institutions comme la police ou l'armée pour agir de manière juste et compétente. [Il] est fondamentalement une critique du système judiciaire, un exemple d'échec social. Quand des flics mettent des crânes de Punisher sur leurs voitures ou que des militaires portent des écussons à son effigie, ils sont fondamentalement du côté d'un ennemi du système. Ils embrassent une mentalité de hors-la-loi. (...) D'une certaine façon, c'est aussi offensant que de mettre un drapeau confédéré sur un bâtiment gouvernemental. Mon point de vue est que le Punisher est un anti-héros, quelqu'un que l'on peut soutenir tout en se rappelant qu'il est aussi un hors-la-loi et un criminel. Si un officier de la loi, représentant le système judiciaire, met le symbole d'un criminel sur sa voiture de police (...), il ou elle fait montre d'une compréhension peu judicieuse de la loi."

Cependant, à mesure que le justicier devient un élément important de l'iconographie de l'extrême-droite américaine, Marvel sent bien qu'elle ne peut plus laisser faire, sous peine d'être assimilé à cette partie du spectre politique. Dans le numéro 13 de la série Punisher en juillet 2019, le scénariste Matthew Rosenberg place une scène où Frank Castle rencontre des policiers se déclarant de son côté et dont la voiture de patrouille porte son symbole. La réponse du "héros" est sans appel: il arrache et déchire l'autocollant. "Nous sommes différents. Vous avez fait le serment de respecter la loi. Vous aidez les gens. Moi, j'ai abandonné tout ça il y a longtemps. Vous ne faites pas ce que je fais. Personne ne le fait. Vous avez besoin d'un modèle, les gars ? Son nom est Captain America et il sera ravi de vous avoir avec lui." Le Punisher rappelle ainsi que sa croisade, comme celle de tous les autres justiciers masqués, est toute personnelle et qu'il est conscient qu'elle le met au ban de la société, ce que ne peuvent pas être, bien évidemment, des policiers.

Extrait de The Punisher #13 par Matthew Rosenberg, Szymon Kudranski, Antonio Fabela & Cory Petit (Marvel Comics)

Si cette mise au point à le mérite d'être claire, elle ne met pourtant pas fin au détournement du personnage. À peine trois numéros plus tard, la série mensuelle du Punisher est stoppée et Marvel se dit que c'est sans doute le bon moment pour que le monde oublie le justicier à la gâchette trop facile. Ses apparitions dans l'univers Marvel vont ainsi se faire plutôt rare au fil des mois. On le comptera essentiellement au casting de la série Savage Avengers et à la tête d'une mini-série écrite par Garth Ennis, Punisher: Soviet, avant de disparaître complètement des radars pendant l'année 2021. On l'a dit, l'invasion du Capitole a été un véritable tournant. Marvel ne pouvant plus se permettre d'être rapproché de ce qui a été vu comme un mouvement insurrectionnel, décide de cacher le petit Frank sous le tapis.

Le retour... avec un petit changement

En mars prochain, le Punisher fera son grand retour sur les étals des librairies spécialisées américaines. Dans une maxi-série en treize numéros, le scénariste Jason Aaron va tenter d'explorer le passé, le présent et le futur du personnage. "Après avoir écrit le Punisher pendant des années, j'ai toujours été fasciné par le personnage de Frank Castle", déclare le scénariste. "Quels moments ont fait de lui le Punisher, même avant ce jour fatidique dans le parc ? Et jusqu'où ira-t-il pour gagner la guerre qui a consumé sa vie ? Spoiler : aussi loin qu'il le faudra. Cette histoire est la prochaine étape de l'évolution sombre et tragique de Frank Castle, qui est passé du statut de gamin perturbé à celui de soldat héroïque, puis de justicier animé par la vengeance... jusqu'à devenir le roi des tueurs." C'est en effet les prémices de la nouvelle série: Castle est devenu un seigneur de guerre de la Main, le clan des assassins. On le verra ainsi arborer un nouveau costume et un tout  nouveau symbole sur son torse.

En intégrant la secte d'assassin de la Main, Frank Castle arbore un nouvel emblème japonisant.

Aaron explique ainsi que ce n'est plus le symbole qui est important, mais le personnage: "Tant de groupes différents ont essayé de s'approprier le symbole du Punisher et d'écrire leur propre histoire sur ce que ce symbole signifie, pour correspondre à leur propre programme. Mais ils n'ont pas à définir l'histoire de ce personnage. (...) Son histoire a toujours été une tragédie sombre et dérangée, celle d'un homme consumé par la guerre, pour le meilleur ou pour le pire, quel que soit le costume qu'il porte. Et c'est exactement le genre d'histoire que nous racontons ici." Et le rédacteur en chef de Marvel, C. B. Cebulski, laisse entendre que la saga du Punisher pourrait prendre un tournant important avec  cette maxi-série : "Il y a quelques années, Jason Aaron est arrivé à l'un de nos sommets créatifs avec un pitch pour Frank qui nous a tous scotché. L'histoire que Jason raconte – un récit véritablement épique sur l'obscurité, la violence et les choix – ne peut être racontée qu'avec le Punisher en son centre. Cette série s'appuiera sur l'héritage de Frank tout en nous faisant découvrir une facette de lui que nous n'avons jamais vue auparavant, préparant le terrain pour une évolution que nous trouverons inévitable. "

Des déclarations tout de même sibyllines qui laissent entendre, en tout cas, que le Punisher est arrivé à un tournant de son existence, peut-être même à sa fin. Marvel a, en effet, tout intérêt a repenser ce personnage qui charrie trop des travers de la société américaine. Si le Punisher a envahi la réalité, la réalité va en retour probablement le forcer à une profonde métamorphose.

Punisher #1 (Marvel Comics), écrit par Jason Aaron et illustré par Jesus Saiz et Paul Azaceta. Couvertures de Saiz, Jen Bartel, Goran Parlov, John Romita Jr., Ernanda Souza, Benjamin Su, Alex Ross, . 48 pages, 5,99 $. Date de sortie US le 09 avril 2022.

Punisher #2 (Marvel Comics), écrit par Jason Aaron et illustré par Jesus Saiz et Paul Azaceta. Couvertures de Saiz, Azaceta & Marc Aspinall. 40 pages, 4,99 $. Date de sortie US le 13 avril 2022.

 

Couverture de Punisher #01 de Jesus Saiz (Marvel Comics)

Couverture alternative de Punisher #01 par Jen Bartel (Marvel Comics).

 

Couverture alternative de Punisher #01 par Goran Parlov (Marvel Comics).

 

 

Couverture de Punisher #02 par Jesus Saiz (Marvel Comics).

Couverture alternative de Punisher #02 par Paul Azaceta (Marvel Comics)

Sources : Wikipedia, CBR, Vulture

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