John Paul Leon était un de ces dessinateurs rares qui maîtrisait tout : narration, anatomie, perspectives, lumière, volumes, textures... À la manière de son modèle Alex Toth, Leon savait retranscrire la réalité avec un minimum de traits. Il vient malheureusement de nous quitter, bien trop tôt.
Melting Pot
Issu d'une famille d'origine cubaine, John Paul Leon est né le 26 avril 1972 à New York. Il passera cependant son enfance à Miami, en Floride. Là-bas, il entrera à la New World School of the Arts, une "magnet school" (1) spécialisée dans les domaines artistiques: musique, danse, théâtre et, dans le cas de John Paul, les arts visuels. Il se souvenait avec amusement : "Les journées de cours y étaient plus longues que dans les établissements traditionnels, mais l'apprentissage était excellent. On faisait de la représentation humaine au lycée, du nu quoi ! Avec des modèles, pas avec des élèves ", précisait-il tout de même. Dans cette école, il rencontre Bernard Chang qui sera un compagnon de route dans sa carrière de dessinateur. C'est à cette époque qu'il publie ses premiers dessins dans des revues consacrées au monde de Donjons & Dragons de TSR.
En 1990, il retourne à New York pour entrer à la School of Visual Arts (École des Arts Visuels) où il suit notamment les cours de Will Eisner et de Walter Simonson. Il fréquente également le Bad Boy Studio, un programme de mentorat mené par le dessinateur Michael Davis (Green Arrow, The Question) qui réunit autour de lui un groupe de jeunes artistes prometteurs (dont Bernard Chang, Adam Pollina, Chris Sotomayor, Jason Medley ou encore Shawn Martinbrough). Le jeune homme est si doué qu'il n'attend pas la fin de son cursus pour commencer sa carrière professionnelle. Il décroche une mini-série et quelques histoires courtes consacrées à Robocop chez Dark Horse (Robocop: Prime Suspect #1-4, Dark Horse Comics #1-3). Davis, lui, est si impressionné par son poulain, il lui confie dès 1993 les dessins d'une série qu'il en train de développer pour son label Milestone: Static. Leon illustre ainsi les neuf premiers épisodes sur des scripts de Dwayne Mc Duffie. Chez Milestone, il croise le dessinateur Denys Cowan qui lui fait découvrir Alex Toth, qui aura une profonde influence sur le jeune artiste qui mène alors études et production professionnelle de front.
Ombres et lumières
Le jeune artiste obtient finalement son diplôme en 1994, mais il continue de travailler pour Milestone. Il lance la série Shadow Cabinet et en dessine la majorité des 18 numéros. Il participe également au cross-over Worlds Collide où les héros de Milestone rencontrent la famille Superman, ce qui lui permet de mettre un pied dans l'univers DC. Il peut ainsi travailler sur un annual de Superman: The Man of Steel (#4, 1995), deux épisodes de Batman: Shadow of the Bat (#40-41, 1995) et surtout une nouvelle version des Challengers of the Unknown (#1-9, 16, 1997-1998).
Il est également repéré par Marvel qui lui confie quelques projets unitaires, essentiellement autour des X-Men. Il s'intéressera à Wolverine (Logan: Path of the Warlord #1, février 1996) et au terrible Mr. Sinister, dans un annual (X-Men '95, octobre 1995) et une excellente mini-série X-Men avec Peter Milligan (Further Adventures of Cyclops and Phoenix #1-4, juin-septembre 1996). Sa maîtrise des ombres lui vaudra un segment dans l'anthologie noir et blanc Marvel: Shadows and Light (février 1997) qu'il imagine avec son frère aîné, Alex. Surtout, on lui confie les dessins de la maxi-série Earth X (#0, 1-12, X, 1999-2000) où il met en image un univers Marvel dystopique imaginé par Alex Ross.
Et vint la créature
Avec les années 2000, Leon se fait plus rare dans le domaine des comic books, se limitant des épisodes indépendants. Il signe tout de même la mini-série Static Schock !: Rebirth of the Cool (#1-4, janvier-août 2001) qui lui permet de revenir sur le personnage de Static en surfant sur la série animée diffusée au même moment. Il dessine une courte histoire en noir et blanc dans Batman: Gotham Knights #6 (2001) écrite par Walt Simonson, une autre dans la série Orion de ce dernier (#15, 2001). Il participe à quelques épisodes des New X-Men de Grant Morrison (#127, 131, août, octobre 2002), à Thor (#57, février 2003), Weapon X(#14, décembre 2003), Tom Strong (#25, mai 2004), Captain America (#7, juillet 2005), Hellblazer (#229, avril 2007), Midnighter (#8, août 2007) ou encore Ex Machina Special (#3-4, octobre 2007-mai 2009).
Il est en effet plus occupé à produire des dessins de production pour la Warner pour les films Superman Returns, Batman Begins, Green Lantern, The Dark Knight... Il travaille également autour de la série télévisée Smallville dont il réalise des adaptations BD ou des illustrations pour livres pour enfants. Sa grande œuvre de la décennie sera tout de même The Winter Men, une série limitée en cinq épisodes et un numéro spécial, qu'il réalise avec le scénariste Brett Lewis, un de ses compagnons du Bad Boys Studio.
En 2007, les médecins diagnostiquent chez Leon un cancer colorectal de stade 2. Il doit alors se lancer dans un long traitement de chimiothérapie, de rayons et de chirurgie qui réduit forcement sa productivité. Il ne réalise que des projets ponctuels comme le numéro spécial Sgt. Fury and his Howling Commandos (juillet 2009) ou quelques pages de flash-backs dans la mini-série Black Widow: Deadly Origins (#1-4, janvier-avril 2010). Il se lance pourtant dans un projet qui lui tient à cœur, Batman: Creature of the Night, une mini-série avec le scénariste Kurt Busiek. Annoncée en 2010, la mini-série souffrira de longs délais cependant, à cause des problèmes de santé aussi bien de Leon que de Busiek. Malgré tout, en 2012, Leon est déclaré en rémission. En parallèle de Creature of the Night, il travaille sur quelques épisodes de The Spirit (#16, septembre 2011), Animal Man (#6, 20, avril 2013, juillet 2014), Detective Comics (#35-36, décembre 2014, janvier 2015), ou encore Mother Panic (#7-9, juillet-septembre 2017). En 2015, il collabore avec Tom King pour un segment de l'anthologie Vertigo Quarterly #4 , "Black Death in America", qui sera nommé dans la catégorie "Meilleure histoire courte" aux Eisner Awards 2016.
"Construire une œuvre et être reconnu par mes pairs"
En 2018 sortent enfin les trois premiers numéros de Batman: Creature of the Night, mais son cancer revient à la charge, dans les poumons cette fois. Il doit de nouveau subir un lourd traitement qui le tient éloigné de son studio. Néanmoins, il réagit bien à la cure et courant 2019, il peut de nouveau travailler à peu près normalement, lui permettant de terminer un numéro 4 longtemps repoussé.
Malheureusement, il semble que le cancer ait tout de même fini par l'emporter. Le 2 mai dernier, vers 22h, il s'est éteint, entouré de ses proches. C'est Chris Conroy, son éditeur sur Creature of the Night, qui a annoncé la mauvaise nouvelle sur les réseaux sociaux. Il laisse derrière lui une épouse et une fille de dix-sept ans. Ses deux camarades de studio, Tommy Lee Edwards et Bernard Chang, ont lancé une cagnotte en ligne afin de récolter des fonds pour pouvoir financer les études de cette dernière.
Lors de son départ de la School of Visual Arts, il lui avait été demandé d'écrire ses objectifs pour les années suivantes. Il répondit : "Construire une œuvre et être reconnu par mes pairs". Avec Earth X, The Winter Men et Batman: Creature of the Night, il a assurément signé quelques œuvres d'exceptions que nous aurions aimé plus nombreuses. Quand à la reconnaissance de ses pairs, la longue liste de réactions des artistes de comics louant à la fois son humilité et son talent parle pour elle-même et fait oublier qu'il n'aura jamais été récompensé de son vivant.
- Aux USA, les "magnet school" sont des écoles publiques très sélectives destinées à favoriser l'intégration d'élèves de différentes communautés au travers d'un enseignement spécialisé, que ce soit en maths, en sciences ou ici, dans les domaines artistiques.
Sources : Sktch, Gamesradar, comicmix