Les auteurs américains doivent décidément peser tous leurs choix narratifs, tant les réseaux sociaux peuvent vite s'enflammer. Le scénariste Jason Aaron en a ainsi fait les frais ces jours-ci.

Dans King Conan #3, sorti le 16 février dernier, Conan débarque sur une île où il rencontre la princesse Matoaka. Celle-ci lui explique qu'elle vient d'une lointaine contrée, plus à l'Ouest, où son peuple vivait dans de grandes cités construites par les dieux du soleil. Elle tomba amoureuse d'un explorateur d'Acheron qui se servit d'elle pour mettre à sac les cités et leurs richesses. La princesse dût tuer son amant, mais son père l'exila tout de même sur cette île maléfique, à jamais coincé avec un trésor immense qui aiguisera l'avidité de tous les colonisateurs.

Extrait de King Conan #3 par Jason Aaron, Mahmud Asrar & Matt Wilson (Marvel Comics)

Or Matoaka se trouve être le véritable nom de la princesse indienne Pocahontas, figure de l'histoire coloniale américaine.

Pour rappel, Pocahontas est la fille d'un chef de la confédération des tribus Powhatan. Vers l'âge de 11-12 ans, elle se lia d'amitié avec un colon anglais, le capitaine John Smith, d'une quinzaine d'années son aîné, qui entretenait de bonnes relations avec son père. Cependant, celles-ci se détériorérent à mesure que les anglais s'arrogeaient des terres. Après un accident, John Smith rentra en Angleterre, laissant croire à sa mort aux yeux des tribus indiennes. Lorsqu'elle eût environ 17-18 ans, elle fut kidnappée par les anglais pour servir d'otage afin de forcer son père à rendre armes et prisonniers, ce qu'il ne fit que partiellement. Pocahontas resta un an prisonnière des anglais où elle fut violée, reconvertie au christianisme et baptisée Rebecca. Un planteur de tabac, John Rolfe, s'épris d'elle et l'épousa. Consenti ou non, ce mariage et la naissance d'un bébé, Thomas, pacifia, pour un temps, les relations entre les anglais et les tribus Powhatan. À 21 ans, elle accompagne son mari jusqu'en Angleterre où elle appris que John Smith était toujours vivant. Malheureusement, elle contracte une maladie respiratoire (pneumonie ou tuberculose) et décéde avant de pouvoir revenir en Amérique à l'âge de 22 ans.

Plusieurs internautes vont ainsi s'émouvoir de l'utilisation du nom de cette figure historique tragique et de son traitement dans un comic book. L'histoire de la Matoaka fictive de King Conan renvoit en effet à la relation entre une princesse et un colonisateur, un trope justement rendu populaire par la légende largement romancée d'une Pocahontas plus âgée qui serait tomber amoureuse du beau capitaine Smith (dont l'exemple le plus connu est le film d'animation Pocahontas des studios Disney en 1995). De plus, son hyper-sexualisation et le manque de respect envers les Natifs Américains ont été perçu comme particulièrement inconvenants.

"Dégoûtée n'est même pas un mot pour ça. Comment ?? Comment cela pourrait être acceptable ?? C'était une VRAIE PETITE FILLE - Lui faire ça, à elle, à nous, encore et encore... Je ne sais plus quoi dire. Dégoûtant. Ne mérite-t-elle pas le repos ? La réhabilitation ? L'honneur ? Vous, les colonisateurs, vous me faites vomir."

"À tous ceux qui se demandent pourquoi je suis en colère : Marvel, Akira "Totalement Japonais" Yoshida, Jason Aaron et d'autres ont pensé que c'était une bonne idée de mettre, dans King Conan, dans des histoires pour blancs, une fille amérindienne en bikini, qui a réellement existé et qui a été horriblement abusée et utilisée."

Une volée de bois vert qui a obligé Jason Aaron a s'exprimer. Lui qui avait pourtant écrit la série Scalped, justement autour des Natifs Americains, a dû faire amende honorable:

"Dans King Conan #3, j'ai pris la décision irréfléchie de donner à un personnage le nom de Matoaka, un nom étroitement associé à la véritable figure amérindienne, Pocahontas. Ce nouveau personnage est une princesse millénaire et surnaturelle d'une île maudite dans un monde stéréotypé de dark fantasy. Elle n'a jamais été conçu pour être basé sur un personnage historique. J'aurais dû mieux comprendre la véritable signification et la résonance de ce nom et reconnaître qu'il n'était pas approprié de l'utiliser. Je comprends l'indignation exprimée par ceux qui tiennent à l'héritage de la vraie Matoaka. Je m'excuse pour tout cela et pour la détresse que cela a causée. Dans le cadre de ces excuses, j'ai déjà utilisé ce qui m'a été payé pour ce numéro et j'en ai fait don au National Indigenous Women's Resource Center. Le nom et l'apparence du personnage seront modifiées pour le reste de cette mini-série, pour toutes les éditions numériques et pour les rééditions."

Marvel a en effet confirmé que le nom du personnage sera donc transformé pour les épisodes suivants et pour les prochaines rééditions. Autant dire que ce numéro 3 de King Conan risque de vite se gagner un petit statut de collector.

King Conan #3(sur 6) (Marvel Comics), écrit par Jason Aaron et illustré par Mahmud Asrar & Matt Wilson. 32 pages, 3,99 $. Couverture d'Asrar, Jan Bazaldua & Jay Anacleto. Sortie US le 16 février 2022. 

Couverture de King Conan #3 par Mahmud Asrar & Matt Wilson (Marvel Comics).

Couverture alternative de King Conan #3 par Jan Bazaldua (Marvel Comics)

Couverture alternative de King Conan #3 par Jay Anacleto (Marvel Comics)

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