La scénariste Stephanie Phillips nous livre, avec Harley Quinn, Tome 1, un récit dans lequel la folie et la psychiatrie prennent une part importante. Et si nous avons tendance à l'oublier, l'autrice nous rappelle sans se priver qu'avant de devenir la célèbre Harley Quinn, l'anti-héroïne était la talentueuse psychiatre Harleen Quinzel qui officiait dans le tristement célèbre asile d'Arkham. Entre rédemption et psychanalyse, l'ex-petite amie du Joker a du pain sur la planche.
L'histoire fait suite aux événements de Joker War et Harley – qui s'est ralliée au côté des héros en essayant de tuer le Joker, convaincue que Batman ne l'aurait jamais fait – tente désespérément de faire amende honorable pour ses crimes passés, tout en cherchant sa place parmi les justiciers de Gotham City. Surveillée de près mais (vaguement) encouragée par Batman, Harley Quinn se découvre une mission qu'elle seule peut accomplir : aider les Clowns – les ex-hommes de main de son "Mr. J." – à reprendre le contrôle de leur vie en utilisant ses talents de psy. Un plan louable qui aurait pu fonctionner si le maire de Gotham n'avait pas officiellement confié la même mission au terrible Hugo Strange.
La guerre des psys
La psychologie est un élément narratif assez fréquemment utilisé dans l'univers de Batman – le Chevalier Noir étant lui-même un support parfait comme le prouve le comic book Batman Ego qui a inspiré le film The Batman – et il n'est pas surprenant que certains de ses représentants soient devenus des personnages importants de la mythologie de la chauve-souris. Ainsi on retrouve Jonathan Crane – alias l'Épouvantail – et donc les deux adversaires du moments : Harley Quinn et Hugo Strange. La scénariste donne ici l'impression d'avoir bien fait ses devoirs, saupoudrant le récit d'analyses ou études psychiatriques, et va jusqu'à amener les deux personnages principaux à se prêter à une sorte de battle de psychanalyse édifiante au fil des pages et qui donnerait presque envie de voir Harley se confronter à toute la galerie de bat-vilains pour nous aider à mieux les comprendre.
On notera que l'opposition entre les personnages est appuyée par le parti pris de présenter un Hugo Strange plus massif et colossal que jamais face à une Harley presque enfantine. Exit donc la mise en avant généralement faite du sex-appeal et de l'assurance caractéristiques du personnage afin de permettre au lecteur de visualiser la différence d'état d'esprit des deux protagonistes. Le premier est sûr de lui et de son plan, la seconde doute de sa place et de son droit à une seconde chance.
À mi-chemin entre Batman et le Joker
Comme Hugo Strange ne se prive pas de lui faire remarquer, Harley Quinn n'est pas aussi mauvaise que le Joker, mais pas aussi bonne que Batman. Et c'est sans doute sur ce fil bien fin qu'Harley jouera de ses talents d'équilibriste pendant une grande partie de l'histoire. Ainsi, elle alternera entre des épisodes violents pendant lesquels elle ne s'interdit pas de jouer de sa chère batte (ou autres accessoires) et qui rappellent l'influence du Joker dont elle a du mal à se défaire (idée appuyée par la quantité de références à leur passé commun), et d'autres durant lesquels son besoin d'héroïsme la poussera à se mettre en danger pour sauver d'autres personnes. Au final, si on lui retire son grain de folie, cette Harley Quinn 2.0 se trouve peut-être plus proche de Batman qu'on ne le croit, le justicier ne se privant pas de passer ses adversaires à tabac comme le mentionne Kevin, l'ex-clown qui fait office de sidekick à Harley. Et c'est peut-être une des forces de ce comic : mettre en avant le fait que tous les héros ne sont peut-être pas si différents que ça de ceux qu'ils combattent.
À fond les ballons !
Stephanie Phillips nous entraîne dans une histoire dont le rythme n'a d'égal que la diarrhée verbale de son héroïne. Si la narration s'appuie généralement sur le côté posé et professionnel du Dr. Harleen Quinzel, l'action, quant à elle, suit la cadence imposée par la frénésie d'Harley Quinn. Et le trait dynamique et plutôt cartoonesque de Riley Rossmo offre au personnage et à son aventure l'écrin idéal pour permettre au lecteur de se laisser envahir par l'énergie et la folie qui se dégage du tout.
De plus, comme précédemment évoqué, Rossmo offre un support idéal à la narration – jouant donc notamment avec les proportions de ses personnages – afin de véhiculer au mieux les messages que la scénariste veut faire passer. Et force est de constater que plusieurs pages, si ce n'est une grande partie de l'ouvrage, pourraient se contenter des illustrations tant elles transmettent efficacement lesdits messages. À noter que le travail sur les couleurs livré ici par Ivan Plascencia n'est pas non plus étranger à ce résultat.
Toutefois, arrivé au sixième chapitre, Riley Rossmo laisse la main à l'artiste Laura Braga. Si le style reste efficace, la transition entre ce nouveau chapitre et les cinq précédents est un tantinet violente, faisant l'effet d'un coup de frein en pleine course folle. Mais une fois de plus, le style paraît en adéquation avec la narration, le ton étant ici plus posé. Malgré tout, toujours guidée par la plume de Stephanie Phillips, Harley reste fidèle à elle-même et on pourrait presque avoir la sensation que ses mots sortent de la bouche d'une autre. Si cela ne gâche rien à l'histoire, on peut tout de même s'en trouver légèrement dérouté. La suite du livre enchaîne avec David Lafuente illustrant une histoire issue du Harley Quinn Annual #1 et dont le style rappellera le dynamisme et le côté cartoon de celui de Rossmo, nous permettant de raccrocher les wagons avec les cinq premiers chapitres. L'ouvrage se termine par un flashback, là encore plus posé et illustré à nouveau par Braga, mettant en avant la romance entre Harley Quinn et Poison Ivy, élément fréquemment évoqué au cours de l'histoire et qui permet, une fois encore, de mettre en exergue la relation malsaine qui existait entre Harley et le joker.
En conclusion, ce Tome 1 des aventures d'Harley Quinn est un ouvrage très sympathique qui va bien plus loin que ce que son style laisserait supposer de prime abord et permet au lecteur de, peut-être, découvrir une nouvelle facette d'Harley Quinn plus profonde que jamais malgré l'humour et la folie derrière lesquels elle se cache.
Harley Quinn, Tome 1 - Bienvenue à la maison ! - Collection DC Infinite d'Urban Comics - en vente à partir du 25 février 2022 au prix de 20€ pour 216 pages. Traduction de Benjamin Rivière et lettrage de Moscow*Eye.