Nous sommes en 1978. Francis Joe Salk est un inspecteur de police à la retraite qui, cinq ans auparavant, se vit confié une affaire qui détruisit sa vie : le meurtre et le viol d’une fillette dans la banlieue de Detroit.

Dernière œuvre en date signée par James O’Barr en 2013 (publié par IDW), The Crow Curare signa le grand retour du créateur de The Crow dans son univers fétiche, en collaboration avec le dessinateur français Antoine Dodé pour donner vie à ce récit extrêmement sombre, mais ô combien bouleversant.
Le récit a été publié en France en 2022 par les éditions Vestron, qui s’attachent depuis plus d’un an à republier les différentes histoires estampillées The Crow.

Une direction originale

Bien que la saga The Crow ait été confiée au fil du temps à de nombreux scénaristes et artistes, une règle scénaristique a toujours prévalu : la victime du crime ramenée à la vie par le Corbeau part elle-même accomplir sa vengeance. Sauf que dans Curare, James O’Barr subvertit cette règle inhérente à la saga, en faisant de l’inspecteur de police Joe Salk, son personnage principal. La victime, Carrie (ou Curare), l’assiste avec le Corbeau dans son enquête pour retrouver la trace, depuis longtemps perdue, du tueur.
Cette approche radicale permet à O’Barr et Dodé de proposer une ambiance et des personnages très éloignés des clichés actuels du genre. Ne cherchez donc pas un polar à la Ed Brubaker dans The Crow Curare, vous serez déçu.

S’ouvrant en 1978, soit cinq après la fin officielle de l’enquête, The Crow Curare offre une perspective sur deux temporalités : 1973 et 1978. Petite parenthèse : le comic book est sorti avant la première saison de la série True Detective et certains remarqueront les parallèles avec les travaux de Nic Pizzolatto.
Nous découvrons alors le détective Joe Salk, dont le physique est inspiré de l’acteur Dennis Franz, seul dans sa maison, avec pour unique compagnie son chat, sa femme l’ayant quitté avec ses deux filles. Joe est un homme brisé, n’ayant pu résoudre l’affaire du meurtre de Carrie, l'amenant à sombrer dans la dépression. Au bout du rouleau, Joe reçoit alors la visite de la petite Carrie, se faisant appelé Curare, ressuscité par le Corbeau (renommé Zoziau par Carrie).

La rencontre de Joe avec Carrie et le Corbeau (®IDW)

The Crow Curare modifie la formule habituelle en se présentant dès les premières planches comme une histoire de rédemption plutôt que de vengeance. Avec la visite de Curare et du Corbeau, le lecteur revivra tous les moments importants de l’enquête et surtout ceux de la vie de Joe Salk.
Le personnage reçoit un premier signe annonciateur de la visite du Corbeau à la morgue. À partir de là, le personnage n’aura de cesse de tout faire pour découvrir l’identité du tueur, en vain. Le lecteur assistera alors à la descente aux enfers du personnage. La conclusion du chapitre Blessure Tertiaire se présente comme un modèle d’écriture et de mise en page de la part d’O’Barr et Dodé.
Le duo nous présente en premier lieu la maison de Joe Salk, ses deux filles jouant devant la télé et sa femme assise dans la cuisine, attendant le retour de Joe. La planche baigne dans des tons clairs, jaunes et lumineux. Les planches suivantes nous rapprochent de la partie de la maison où se trouve Joe. Les tons deviennent alors bleutés et sombres, la mise en page faisant littéralement descendre le lecteur dans le sous-sol de la maison. Là, nous retrouvons Joe, attablé dans son bureau de fortune, épluchant ses dossiers englouti par une lumière rouge et oppressante. Le personnage semble avoir perdu toute notion du temps dans cette série de planches symbolisant sa descente aux enfers.

L’importance des couleurs se fait ressentir à chaque planche de The Crow Curare. Les tons bleus étant principalement réservés aux scènes d’enquête de l’année 1973, les jaunes et lumineux illustrant le quotidien au domicile de Joe, tandis que les tons marrons et terreux illustrent le présent de l’année 1978.

Ces trois planche illustrent la descente de progressive de Joe Salk en enfer (®IDW).

Cette approche originale concerne aussi le tueur. Très loin de tomber dans la fascination répugnante du tueur en série (façon Silence des Agneaux) qu’avait déjà dénoncée Oliver Stone dans Tueurs Nés (1994), O’Barr et Dodé présentent ce personnage – n’apparaissant que très peu dans le récit – comme une ignoble outre à bière, violent et dénué de personnalité. Finalement, un simple reflet de la crasse et de la pourriture commune rongeant la société américaine. Quelque chose de banal en somme, comme l’explique O’Barr dans sa préface. Et c’est bien là que The Crow Curare fait le plus mal, en présentant cette affaire de meurtre et de viol comme une banalité, tout le monde allant de l’avant excepté Joe Salk, incapable d’abandonner et d’oublier la petite Carrie. L’affaire n'est devenue qu’un numéro pour le supérieur hiérarchique de Joe et la petite fille issue d’un foyer a été oubliée de tous, sauf par un homme : Joe Salk.

Dans The Crow Curare, le tueur n'est rien d'autre qu'un vulgaire alcoolique (®IDW)

L'humanisme du récit

Le personnage de Joe Salk est avant tout un homme faillible avec ses défauts, mais courageux et doté d’un haut sens moral. Un personnage humain, contrastant avec l’archétype actuel et usité du détective. Les planches montrant le passage à tabac d’un pédophile par Joe en est le meilleur exemple, dont l’ambiguïté ne souffrira d’aucune analyse à base de moraline.

Cet aspect humain transparaît d’ailleurs tout au long du récit, notamment avec le personnage de Curare (Carrie), O’Barr nous faisant bien comprendre qu’il s’agit bien d’une enfant, le scénariste en profitant pour faire du Corbeau un véritable personnage. Ce dernier s’adressant par la parole à Curare et Joe Salk, avec un lettrage lui donnant une voie particulière et ses dialogues faisant ressortir son empathie pour les victimes du tueur et pour Joe. La scène de l’hôpital, par exemple, se conclut par un moment humoristique et touchant dans lequel le Corbeau s’amuse à défaire les lacets de Joe (alors au téléphone) pendant que Curare les rattachent. Ce petit détail qu’un lecteur peu attentif risque de rater est pourtant l’un des moments forts du récit, permettant de mieux comprendre les motivations du Corbeau, ainsi que le propos humaniste de James O’Barr et Antoine Dodé.

Dans The Crow Curare, le Corbeau apparaît comme un personnage très empathique (®IDW).

En définitive, The Crow Curare se pose comme une pierre angulaire de la saga. En renouvelant l’approche, tout en proposant un récit poignant et terrifiant, la dernière œuvre en date de James O’Barr sur sa licence fétiche s’impose comme un véritable chef-d’œuvre, se hissant à la hauteur du premier The Crow.

Envie d'en discuter ?
Rendez-vous sur Discord
Suivez-nous pour ne rien rater :
IDWVestron
Alligator Queen

Ça pourrait vous intéresser

 sur Superpouvoir.com
Partager : Partager sur Facebook Partager sur Twitter