En cette soirée du 5 novembre 2024, alors que nous attendons les résultats du duel entre Kamala Harris et Donald Trump, impossible de ne pas penser à la façon dont les comics ont toujours su raconter la politique américaine. C'est une histoire qui remonte à loin, et qui prend aujourd'hui une dimension particulière avec cet affrontement inédit entre l'ancienne vice-présidente et l'ex-président.
Comment les comics abordent-ils la politique ?
Les auteurs n'ont jamais hésité à prendre position. Erik Larsen en est peut-être le meilleur exemple : après avoir fait apparaître Barack Obama en couverture de Savage Dragon #137, un numéro devenu un véritable phénomène mondial réimprimé quatre fois, il a continué sur cette lancée. En 2020, il a soutenu le ticket Biden-Harris dans le numéro 253, perpétuant une tradition de couvertures présidentielles remontant à George W. Bush. La série, l'une des plus anciennes toujours en cours, se déroule en temps réel et n'hésite pas à commenter l'actualité : après l'élection de Trump, Dragon et sa famille ont même déménagé au Canada suite à une interdiction visant les extraterrestres.
Brian K. Vaughan explore cette même voie avec Ex Machina en imaginant un super-héros qui devient maire de New York, une série qui nous plonge dans les coulisses du pouvoir avec beaucoup de réalisme. Chez Marvel, c'est le terrible Wilson Fisk, alias le Caïd, qui dirige la ville. Martha Washington, créée par Frank Miller, va encore plus loin en suivant le parcours d'une héroïne afro-américaine dans une Amérique future en pleine crise. L'auteur y aborde frontalement les questions de race, de classe sociale et de pouvoir politique. Plus récemment, des séries comme DMZ de Brian Wood imaginent une guerre civile américaine moderne, tandis que Pax Americana de Grant Morrison réinvente les héros Charlton dans une réflexion sur la surveillance d'État post-11 septembre.
Quelle influence les comics ont-ils sur le débat politique ?
Ce qui intéresse, c'est la liberté avec laquelle les comics s'emparent des sujets sensibles. Frank Miller et Bill Sienkiewicz livrent avec Elektra: Assassin une critique directe du système politique américain, dans une œuvre où corruption et manipulation mentale se mêlent au plus haut niveau de l'État. Wonder Woman, sous la plume de Greg Rucka, devient ambassadrice et nous montre les tensions diplomatiques de l'intérieur, notamment lors de son arc Down to Earth où elle publie un livre controversé sur son point de vue concernant la société patriarcale.
Captain America illustre parfaitement cette relation complexe entre comics et politique : dès 1980, dans le numéro 250 de sa série, par Roger Stern et John Byrne, le personnage se voit proposer de se présenter à la présidence des États-Unis. Il refuse, expliquant qu'il préfère défendre un idéal plutôt que de faire les compromis qu'exige la politique – une position bien différente de celle de Lex Luthor, qui devient président des États-Unis au début des années 2000 dans l'univers DC. Un an plus tard, What If? #26 imagine pourtant ce qui se serait passé s'il avait accepté, le montrant choisir un colistier afro-américain – une première pour l'époque. Les séries Civil War chez Marvel ont d'ailleurs montré comment les super-héros pouvaient se diviser sur des questions de libertés civiles et de sécurité nationale. Cette tendance s'est poursuivie avec des œuvres comme Citizen Jack de Sam Humphries, qui raconte l'histoire d'un politicien faisant littéralement un pacte avec le diable pour devenir président, ou encore Letter 44 de Charles Soule, qui explore les secrets d'État à travers la correspondance entre deux présidents.
L'histoire se répète aujourd'hui. Alors que les bureaux de vote ferment leurs portes et que le décompte commence, nous nous rappelons que les comics ont toujours su raconter ces moments importants de la démocratie américaine. Et aujourd'hui ne fait pas exception.