Dire que Marvel Studios a révolutionné le milieu des blockbusters (films à gros budgets hollywoodiens) serait un euphémisme. Depuis un peu plus d'une décennie, la firme d'Iron Man, Captain America et autres Avengers se taillent une part du gâteau important du marché cinématographique mondial. Avec l'arrivée de Disney+ sur nos écrans, le studio compte bien continuer à s'étendre en envahissant nos écrans de télévisions par des séries liées directement au MCU.

Si elles ne représentent pas le même impact financier ou créatif, elles se font remarquer dans un écosystème vieux de plusieurs décennies où les codes diffèrent du grand écran. Dans un article signé Adam B. Vary, Variety nous en apprend plus sur le mode de fonctionnement de Marvel qui s'écarte du système traditionnel et qui inquiète de nombreux auteurs de télévision. Et s'il est évident que ces méthodes peuvent faire grincer des dents, peut-être que tout n'est pas si alarmiste pour le monde du petit écran.

Marvel Studios produit des séries... de films

Pour un observateur peu avisé, les séries Marvel Studios à destination de Disney+ ne diffèrent peu ou pas d'un show classique : plusieurs épisodes hebdomadaires, un générique de fin et parfois d'ouverture, quelques cliffhangers bien choisis... La routine quoi. Mais en coulisses, Marvel use d'une méthodologie inspirée du monde du cinéma. C'est paradoxale quand on sait que le studio s'est inspiré du mode de fonctionnement des séries pour construire son Marvel Cinematic Universe.

Revenons au milieu des années 2000, après des succès tels que Spider-Man ou les X-Men, Marvel comprend qu'il doit également développer ses propres franchises avec les personnages dont les droits d'exploitation n'ont pas été revendus. Ainsi naissent les films Iron Man, Captain America : First Avenger, Thor ou encore Avengers. Et si le studio a placé ses pions petit à petit, film après film, le but était évidemment de réunir tous ces personnages dans un film-réunion, établissant au passage un univers partagé similaire aux comic books.

Derrière tous ces films et ces millions de billets verts amassés se cache un homme en particulier : Kevin Feige. Le producteur gère d'une main de maître le processus créatif qui aboutit à la sortie de chaque film avec pour leitmotiv : "It's all connected" ("Tout est connecté"). A la manière d'un showrunner de séries TV, il encadre chaque long métrage comme une grande fresque où chaque détail compte. Il s'entoure également d'un comité créatif qui contrôle chaque phase de production afin de garder au mieux une cohérence scénaristique. Le comité était alors composé de Kevin Feige, Dan Buckley, Louis d'Esposito, Joe Quesada, Brian Michael Bendis et Alan Fine. Joss Whedon s'y greffa pour superviser les aspects inhérents aux deux premiers Avengers qu'il réalisera.

Après 23 films, le studio hollywoodien a développé un univers riche et a su s'entourer d'artistes talentueux pour parfaire chaque production. Le MCU peut alors être aisément comparé à une série TV où chaque épisode est réalisé par un auteur différent mais avec une vision d'ensemble à court, moyen et long terme. Les scènes post-génériques font office de cliffhangers annonçant le prochain épisode, les saisons sont remplacés par les Phases, les scénaristes travaillent de concert vers un objectif de season finale et les acteurs signent pour plusieurs apparitions plus ou moins importantes.

Kevin Feige annonçant le planning de la Phase 3 du MCU

Kevin Feige, l'homme derrière le succès de Marvel Studios

Pas de showrunners : quelle différence ?

2019 marque un tournant important pour Marvel Studios : la Phase 3 s'achève avec Avengers : Endgame et Spider-Man : Far From Home concluant alors un arc narratif débuté presque 10 ans auparavant, Kevin Feige devient Chief Creative Officer (il supervise alors toute la production créative signée Marvel : comics, films, séries, jeux...) et annonce dans le même temps plusieurs shows à destination du futur service de streaming Disney+. Son rôle de showrunner s'agrandit sur une production encore plus vaste.

Nous avons alors pu découvrir WandaVision, Falcon et le Soldat de l'Hiver et bientôt Loki. Et ces séries marquent elles aussi un moment important pour le studio. Elles sont directement rattachées au MCU et permettent de creuser des personnages secondaires.

Mais elles adoptent une méthodologie propre à la gestion particulière de Feige sur Marvel Studios : il n'y a pas de showrunner attitré. Les termes peuvent sembler insignifiants mais sont lourds de sens en réalité. Dans les cas des premiers shows déjà diffusés, nous avons plutôt affaire à un duo réalisateur/scénariste (Matt Shakman / Jac Shaeffer pour WandaVision et Kari Skogland / Malcolm Spellman pour Falcon) plutôt qu'à un vrai showrunner qui dirigera l'ensemble de la série dans une direction définie. Elles sont construites pour ressembler davantage à un film long de six heures.

Ainsi, il apparaît pour plusieurs observateurs que le studio nuit à la créativité et l'autonomie que les showrunners ont en temps normal sur une série. Même si le processus créatif est sensiblement identique, le rôle imputé au scénariste en chef est moindre car il s'agit d'un travail bien trop lourd à porter. Kari Skogland explique : "C'est une nuance, mais je pense qu'elle est de plus en plus adaptée parce que le travail dans ces grandes mini-séries ou séries épiques est trop important. [...] Donc [Malcolm Spellman] faisait toujours partie de tout le processus." Elle ajoute : "Honnêtement, c'est très efficace, car c'est tout simplement trop de travail pour une seule personne."

Kari Skogland sur le tournage de Falcon et le Soldat de l'Hiver

Si David Goodman, président de la Writers Guild of America West, nuance en rappelant que Marvel a toujours été un "cas unique" et que cela leur réussit, il estime que ce modèle est "préoccupant". Cela pourrait créer un précédent où les studios confieraient alors une place moins importante aux scénaristes dans la production séries "évènementielles". Au cinéma, c'est avant tout la vision du réalisateur qui est mise en avant alors qu'en télévision, il s'agit davantage de celle de l'écrivain, le(s) réalisateur(s) étant souvent relégués au second plan. Un scénariste anonyme important ajoute : "Je ne travaillerai jamais sur une émission télévisée Marvel. Ils ont un showrunner. C'est Feige – ce qui est bien ! Je ne voudrais tout simplement pas travailler de cette façon, c'est tout."

Marvel a révolutionné le cinéma en introduisant le concept d'univers partagé et beaucoup de studios s'y sont essayé avec plus ou moins de succès. Le risque serait que la situation se répète dans le milieu de la télévision. L'impact financier pourrait devenir important que ce soit pour les studios que pour les écrivains, les agents et les boîtes de production.

Est-ce vraiment si grave ?

Pour Marvel Studios, le prix à payer peut être mis en perspective. La firme de Kevin Feige a toujours su dénicher des talents pour l'ensemble de ses productions et a toujours recruté des écrivains ou des cinéastes malléables et prêts à suivre le studio sans broncher. Marvel a également mis en lumière plusieurs auteurs quasi-inconnus jusque là et a ouvert la voie à de nombreux artistes désireux de se faire une place à Hollywood.

Les principales difficultés viendront lorsque les fans en attendront davantage et qu'il faudra s'entourer d'écrivains bien plus talentueux. Mais ces derniers ne signeront probablement pas dans ces conditions sans avoir le contrôle global de l'histoire.

D'un autre côté, les séries Disney+ n'ont pas l'ambition de détrôner le Cinéma-Roi. Les séries servent principalement de développement qui serait trop long à expliquer au cinéma. Elles aident à transformer certains personnages ou à redéfinir certains statu quo avant une entrée en matière plus grande dans les salles obscures. Encore une fois, Marvel est un cas à part où les règles ne s'appliquent pas de la même manière.

Pour le reste de la profession, la sonnette d'alarme est déclenchée. Les écrivains craignent de ne plus pouvoir exposer leur vision sereinement. Un showrunner décide qui va réaliser tel ou tel épisode. C'est lui qui conçoit l'équipe qui va se charger de produire son scénario. Sans lui, ce sont les studios qui ont le final cut, et comme au cinéma, cela peut vite devenir problématique. Combien d'histoires a-t-on entendu à propos d'un réalisateur mécontent du rendu final de son œuvre ? Les séries en étaient épargnées. Pour combien de temps encore ? Dans une époque où les productions télévisuelles attirent les grands noms du cinéma, la tendance pourrait alors s'inverser et les enjeux deviendraient véritablement importants.

Le petit monde de la télévision a connu une évolution importante sur la dernière décennie avec l'arrivée de Netflix, Amazon Prime Video, Apple TV+ ou encore Disney+. La production s'est diversifiée, intensifiée et les shows sont de plus en plus nombreux. Certaines perles sortent du lot mais il peut arriver que la quantité ait mis du plomb dans l'aile de la qualité. Peut-on vraiment blâmer Marvel Studios pour profiter du succès des plateformes de streaming ? Il s'agit là d'autres débats mais l'engouement que cela provoque ne peut pas laisser indifférent. La réussite de la Maison des Idées incite d'autres producteurs à copier leur modèle. Il reste important que le milieu de la télévision continue comme elle a su si bien le faire et qu'il continue à se mobiliser pour faire valoir ses droits. Il faut seulement prendre garde à ne pas attaquer la mauvaise cible.

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