Joker Infinite propose une très bonne entrée en matière, mettant en scène les différents évènements qui ont émaillé les relations entre le criminel et le commissaire Gordon et la traque qui s’en suit. Fidèle aux personnages que l’on connaît, le récit est parsemé de nombreuses références, qui ne rebuteront toutefois pas le lecteur novice. Reste à voir toutefois comment l’intrigue peut évoluer à la longue, surtout dans le cadre d’une série mensuelle. Secondée par de très bons dessinateurs, c’est une lecture très recommandée.
Meurtres à Arkham
Faire une série mensuelle sur un criminel est une véritable gageure. Surtout lorsqu’il s’agit du pire d’entre eux, à savoir le Joker. On aurait pu craindre une overdose ou une répétition tant le personnage est surexposé depuis plusieurs années, mais force est de reconnaître que l’angle d’attaque fonctionne plutôt efficacement, même s’il tient plus de la mini-série pour l’instant.
La série commence alors que 90 % des pensionnaires d’Arkham sont brutalement massacrés par une toxine ressemblant à celle du Joker, dont certains criminels très importants du Bat-Universe. Bien évidemment, cet acte ne va pas rester impuni et le clown de Gotham est le premier suspect. Une grande partie des familles mafieuses de Gotham va donc vouloir se venger du Joker en envoyant leurs sbires à ses trousses. Ce dernier, après les évènements de Joker War s’est retranché dans un hôtel au beau milieu d’un pays d’Amérique du Sud et attend ses ennemis de pied ferme. Parallèlement, une mystérieuse inconnue vient trouver un James Gordon tout jeune retraité pour lui proposer un marché : retrouver et abattre le Joker pour une somme importante. Et après tous les contentieux entre le clown criminel et le commissaire, comme tirer à bout portant sur sa fille ou pousser son fils au suicide, ce dernier se pose réellement la question. Le voici donc parti à la recherche du criminel. Plus qu’une histoire sur le Joker, la série nous propose avant tout de faire un tour des relations entre le commissaire et le psychopathe.
Un récit intégré à l’univers de Batman
James Tynion IV connaît bien l’univers de Batman. Son écriture est intéressante et le fait de proposer des monologues intérieurs fonctionne plutôt bien, même si c’est parfois un peu répétitif. La connaissance des personnages et de l’histoire entre Gordon et le Joker est impeccable. Elle est en revanche un peu trop basée sur le récit Killing Joke, dont les allusions sont nombreuses tout au long du volume. Il vaut donc mieux connaître l’œuvre de Moore et Bolland avant d’attaquer ce récit. En revanche, pas besoin d’avoir lu Joker War, le récit étant parfaitement résumé. Une petite remarque toutefois : si Gordon reproche continuellement au Joker d’avoir agi sur le destin de ses enfants, il est bizarre qu’il ne mentionne pas sa femme, Sarah Essen, qui avait été assassinée par le criminel à la fin de No Man’s Land. Mais peut-être ce récit a été retconné. En tout cas la relation entre les deux personnages est vraiment bien menée. James Tynion IV nous propose aussi beaucoup de liens entre James Gordon et les héros de la Bat-Family. Vous pourrez retrouver dans les pages du volume non seulement Batman et Barbara Gordon (ce qui paraît une évidence), mais aussi Cassandra Cain et d’autres membres de la famille. Cela ne fait donc pas de Joker une série à part dans l’univers de Batman, mais au contraire un récit parfaitement intégré dans la continuité du personnage. L’intrigue est donc plutôt bonne, même si quelques passages un peu trop sanglants auraient pu être évités. D’ailleurs le choix de la couverture du volume ne semble pas très pertinent et un peu trop « sale », même si c’est signé par Frank Quitely.
Une série régulière qui n’en est pas une ?
Le concept de proposer une série régulière autour d’un criminel est assez hasardeux. En effet, il semble difficile de pouvoir proposer une intrigue au long cours sur un personnage dont la seule finalité est de se faire arrêter par un héros. Cela avait été le gros problème de la série Joker dans les années 70, qui n’avait duré qu’une dizaine de numéros. Il ne reste donc qu’une seule possibilité : faire de ce personnage un « gentil », ou tout du moins lui donner un code moral. Les exemples sont nombreux, on pourrait citer Deathstroke, Fatalis, Deadpool ou encore Harley Quinn. Problème : le Joker n’a aucune morale. Et James Tynion IV ne cherche pas la facilité puisqu’il ne change pas le personnage. Il n’en fait pas un anti-héros. En revanche, il fait pour l’instant du Joker un personnage secondaire puisqu’une grande partie de la lumière est orientée vers James Gordon. D’ailleurs je pense que la série aurait largement pu s’appeler Gordon, mais cela aurait été moins vendeur. De fait, on peut légitimement se questionner sur la viabilité de la série et de l’histoire. Que faire une fois que Gordon aura retrouvé et capturé le Joker, et ainsi résolu son dilemme de l’abattre ou pas ? Le concept ressemble plus à celui d’une maxi-série qu’à celui d’une série régulière. On attend donc de voir comment le scénariste va faire évoluer son intrigue sur le long cours. Après, dans la mesure où la durée de vie d’une série dépasse très peu souvent le numéro 15, cela ne devrait pas poser de problème.
Une partie graphique à la hauteur
Sur les six épisodes proposés dans ce recueil, cinq sont signés Guillem March. Le dessinateur avait fait une arrivée assez fracassante dans l’univers de Batman en proposant des dessins qui pouvaient être considérés comme trop stylisés et trop sexualisés. On se rappelle notamment de ses Birds of Prey ou de sa série polémique Catwoman new 52. Mais ce dernier a réussi au fil des années à faire évoluer son dessin, devenu depuis un peu plus rond. Il a toutefois tendance à mettre beaucoup de cases dans ses planches, qui nuisent de temps à temps à la lisibilité. Cela reste toutefois du très bon travail. Il est secondé le temps d’un épisode par Francesco Francavilla, qui livre, comme d’habitude une très bonne prestation.
Joker Infinite T1 (Joker #1-6) est un comics publié par Urban Comics, 16 €, traduction de Jérôme Wicky.