– Tu sèmes des squames partout dans la voiture de mon père.
– Désolé, je me gratterai par la fenêtre.
Voilà. Ça vous parait loufoque comme intro ? Absolument inattendu et enclin d'une forme d'absurdité ? Bienvenue dans Goiter, un recueil d'histoires oscillant entre tranches de vide et dérapages incontrôlés, mettant en scène des personnages qui regardent, les yeux grand ouvert, leur vie se refuser à eux. Un univers flottant entre burlesque et mélancolie, crée par l'américain Josh Pettinger et édité en France par la maison nantaise Ici Même. Autant, vous le dire d'entrée : c'est une pépite.
Difficile de vous faire un résumé, car on parle ici d'un florilège de petites histoires, tantôt scénettes furtives, tantôt épisodes plus étayés. Tout ce que l'on peut vous dire pour éviter de vous divulgâcher est que vous aurez affaire avec un ventriloque accusé d'un crime, d'un rendez-vous amoureux qui tourne mal ou encore d'un employé Amazon menant sa révolution.
Tristement drôle et drôlement triste.
Si toutes les histoires dépeintes dans Goiter sont différentes, elles laissent toutes derrière elles, le même sillage : un parfum de spleen. En effet, les personnages marchent à côté de leur existence. Emportés par un immobilisme à grands pas, ils vivent un quotidien qu'ils exècrent, mais qu'ils ambitionnent sobrement de bousculer.
La patte Pettinger se définit par un humour absurde, projecteur de l'inertie qui régit la trajectoire des protagonistes. Les personnages ne maitrisent rien. Ni leur situation de base, ni ce qui va les en sortir, ni le retour au statu quo. Et nous, lecteurs, nous nous retrouvons à rire malgré nous, de ce qui leur arrive malgré eux.
Au milieu de cette panade, nous faisons connaissance avec Henry Kildare, un ventriloque en quêtes de quelques représentations confidentielles dans des cafés théâtre et qui se retrouve, malgré lui, poursuivi pour meurtre. Ou encore Sally, taciturne serveuse, en mal d'existence, qui va faire la rencontre amoureuse d'une tête flottante débarquée depuis un champ de bataille interdimensionnelle, d'une Pologne des années 50.
Exposé de la sorte, on peut peu hâtivement se dire que Goiter s'annoncer comme abscons et indigeste. Cela aurait été le cas si Pettinger ne maitrisait pas à perfection ces lignes narratives. L'auteur américain n'utilise pas le burlesque comme un simple vernis littéraire ou une vanité stylistique. Ici, l'absurde revêt une forme de nécessité scénaristique. L'extravagance souligne l'enlisement des personnages dans un quotidien moribond et banal, si bien que l'on est rendu à se dire qu'il n'y avait que cette lueur absurde pour tenter de dissiper le brouillard.
Qui dit recueil, dit plusieurs histoires qui malheureusement ne se valent pas toutes. Certaines sont plus longues et d'ailleurs sont chapitrées, d'autres sont des petites scènettes rigolotes sans trop d'ambition. On est même tenté de se dire que certaines histoires servent davantage à garnir une galette qui aurait manqué de frangipane par endroit si on s'était contenté des chapitres principaux.
Toujours est-il que ce Goiter plaira aux amateurs d'humour absurde à la créativité foisonnante, tirant sa source chez plusieurs auteurs qui ont marqué le medium…
Entre Clowes, Ware et même… Fabcaro ?
La filiation entre Pettinger et Clowes est indéniable. En termes graphiques, on retrouve ce trait gras, par exemple, entre l'univers pop et la série Daria. Si Clowes a tendance à buriner franchement ses visages, on remarque tout même cette même volonté chez les deux auteurs de déformer les trognes, en écrasant les mentons et en étirant les regards.
Pour l'ambiance, on retrouve également ce style mélancolique et peu dynamique. D'ailleurs, il est très difficile de temporaliser Goiter. Certaines histoires semblent dépeindre une dystopie rétrofuturiste, le tout, portée par une esthétique année 60. Là encore, tout le but est d'enfermer les personnages dans une forme d'immensité sans contours, ni repères ; inspirant aux lecteurs, une forme de nostalgie de moments qu'ils n'ont jamais vécu.
Pour continuer sur les inspirations, on retrouvera Ware et son humour absurde et aussi, quelques de notes de notre bon Fabcaro national. Alors, on imagine mal Pettinger s'être inspiré de l'auteur français, mais on distingue un cousinage entre les deux créateurs, notamment dans ce gout du dialogue, parfois un peu brut de décoffrage.
D'ailleurs, on ne pourra pas s'empêcher de lier l'histoire de Henry Kildare à celle du fugitif dans Zaï Zaï Zaï : un homme faisant ses courses et qui se retrouve en cavale, recherché par toutes les autorités nationales pour un motif totalement ubuesque.
Conclusion
“De vrais traumatismes romancés pour votre plaisir" : Josh Pettinger dit tout de son intention en introduction de son premier chapitre. L'auteur américain prend un malin plaisir à jeter ses jouets dans la baignoire et les voir se débattre en mesurant l'amplitude des remous que ses pantins occasionnent.
Goiter est la preuve d'un auteur qui sait faire de la bande dessinée. Il maitrise na narration en oscillant brillamment entre drôleries et passages extrêmement touchants. Goiter est un bijou. Et comme tous les bijoux, ils ne sauraient ceindre tous les cous ou habiller tous les poignets. Cette bande dessinée ne sera clairement comprise par tous. Son côté burlesque très assumé, son style graphique très froid et son format ne parleront pas à tous les lecteurs.
En revanche, il fera le bonheur des amateurs d'absurde et de mélancolie, adeptes de créativité et de surprises.
Goiter de Josh Pettinger, publié chez Ici-Même depuis le 08 septembre 2023 - Couverture Souple - 208 pages - 28 €
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