Twin Peaks, la série révolutionnaire de David Lynch qui a marqué l’histoire, a changé de manière irréversible le paysage de la télévision moderne. Superpouvoir vous propose l'analyse publiée par MovieWeb sur ce passionnant sujet. Attention toutefois, cet article contient des spoilers, et pourrait en partie vous gâcher l'intrigue de la série si vous ne l'avez pas encore vue.

"Twin Peaks, la série qui pourrait tout changer", pouvait-on lire en couverture du magazine Connoisseur en 1989, quelques mois avant la diffusion de la série sur ABC devant 35 millions de téléspectateurs. Les téléspectateurs n'avaient jamais rien vu de tel que la série de David Lynch et Mark Frost : un drame sériel surréaliste empreint d'horreur, de violence et de comédie à la fois. C'était vrai, la télévision ne serait plus jamais la même après cela. Le revival de 2017, Twin Peaks: The Return, a réinventé la roue une fois de plus, et la télévision continue de devenir plus étrange, et meilleure, après sa vision.

La première saison de Twin Peaks tournait autour d'une seule question qui captivait les téléspectateurs : "Qui a tué Laura Palmer ?" La réponse est devenue plus étrange et plus effrayante encore chaque semaine. La série s'est attachée à révéler les bizarreries de sa ville inoubliable au "café sacrément bon" autant qu'à résoudre son mystère central. Elle s'est attachée au ton et au style autant qu'à l'intrigue et aux personnages. Rien dans Twin Peaks n'était superficiel ou éphémère, qualités que les critiques snobs attribuent parfois à la télévision. La profondeur émotionnelle et la vision artistique singulière ont fait basculer le paysage médiatique américain dans une nouvelle ère télévisuelle, plus expérimentale. Les divers drames de prestige, les romances à l'eau de rose et les mystères de petites villes qui ont vu le jour par la suite devaient tous un peu (et souvent beaucoup) au chef-d'œuvre de Frost et Lynch.

Plus de trente ans après sa première diffusion, Twin Peaks reste une force mythique dans le paysage télévisuel. Ses thèmes, son cadre, ses qualités cinématographiques et son mélange des genres ont depuis été absorbés par le divertissement grand public, influençant tout, de X-Files à True Detective jusqu'au très récent Mare of Easttown. Après le revival de la série, acclamée par la critique, des rumeurs ont circulé pour savoir si le mystérieux projet suivant de Lynch, récemment abandonné par Netflix, était une nouvelle saison de la série. Qu'elle obtienne ou non un nouveau volet, la question reste de savoir comment la série continuera à influencer l'avenir de la télévision.

Est-ce une série, un film ou... plus ?

La frontière entre le cinéma et la télévision peut sembler pratiquement inexistante de nos jours, et Twin Peaks a été l'une des premières séries à l'estomper. Le contrôle de Lynch sur la série n'était pas absolu, mais il a dirigé sa série télévisée d'une manière que personne n'avait jamais vraiment fait auparavant, comme s'il s'agissait d'un film. Ironiquement, Twin Peaks a popularisé le style lynchien plus qu'aucun de ses films. La cinématographie noire saisissante et la bande-son luxuriante et envoutante (signée Angelo Badalamenti) évoquaient le cinéma. Sa matière sombre, ses séquences de rêve, son mélodrame soap, sa banalité et son horreur ont suscité de nombreuses comparaisons avec Blue Velvet, l'un des plus grands films sur la façon dont le rêve américain peut devenir un cauchemar. Une autre qualité cinématographique était la grande distribution de la série, une caractéristique peu commune au début des années 90.

De nos jours, les notions de traditions, de culte et de fandom sont synonymes de télévision, mais il n'en a pas toujours été ainsi. Twin Peaks a été l'une des premières séries à cultiver une mythologie digne d'un film, ce qui a donné lieu à de nombreux spin-offs. L'emprise de la série s'est étendue à d'autres médias. Elle a eu droit à un préquel au cinéma avec Fire Walk With Me en 1992, à un roman avec Le journal secret de Laura Palmer (par Jennifer Lynch, le propre fille de David), à une cassette audio avec "Diane..." – The Twin Peaks Tapes of Agent Cooper (par Scott Frost, le frère de Mark), et diverses publications autorisées et non autorisées qui étoffent les personnages et l'histoire.

La série a continué à jouer avec les barrières de la forme dans son revival de 2017, Twin Peaks: The Return, que Lynch a qualifié de "film de 18 heures". "Pour moi, la télévision et le cinéma sont exactement la même chose", a-t-il déclaré à Variety lors d'une projection anticipée. La musique a également été introduite de façon notable dans le média lors du revival de 2017, de nombreux épisodes se terminant par une performance au bar de la ville, le Roadhouse. Peu de séries télévisées incorporent des chansons entières, sans parler des performances des artistes originaux. Le retour a été salué par certains comme étant encore plus révolutionnaire que l'original.

Montrer le côté sombre d'une petite ville des États-Unis

Twin Peaks est avant tout l'histoire de la ville du même nom, dans l'État de Washington. En apparence, il s'agit d'une tranche d'Amérique saine, remplie d'ingrédients de base du Nord-Ouest du Pacifique : café, forêts sombres et humides, intérieurs en bois confortables et flanelle rouge. Cependant, Twin Peaks a également fait de la région un cadre célèbre pour explorer les ténèbres qui se cachent sous le comptoir poli du restaurant de la petite ville américaine. Les médias, de Twilight à The Killing en passant par le populaire jeu vidéo Life is Strange, ont porté cette tendance jusqu'à nos jours.

L'idée que des horreurs se cachent sous la banalité joyeuse est devenue de plus en plus populaire au cours des dernières décennies. La star de Twin Peaks, Madchen Amick, joue maintenant dans Riverdale, qui plie son matériau d'origine aux conventions de la télévision moderne, mais y ajoute une bonne dose d'absurdité. L'action se déroule dans une petite ville pluvieuse, où l'on trouve un café-restaurant local et un côté sombre. Cela vous dit quelque chose ? Bien sûr, il n'y a pas que Riverdale. Beaucoup ont joué avec l'illusion de sécurité des petites villes, comme Wayward Pines, Stranger Things, Locke and Key et même Gilmore Girls.

Ce trope est de plus en plus populaire à la télévision internationale. Il y a Dark, le succès allemand trippant de Netflix, mais n'oublions pas Broadchuch, l'islandaise Katla, et deux séries françaises, Les Revenants et Zone Blanche.

Enveloppé dans du plastique : Redéfinir le mystère du meurtre

"Elle est morte, enveloppée dans du plastique". Ces mots inoubliables ont donné le coup d'envoi du mystère du meurtre de Laura Palmer et d'une obsession de plusieurs décennies pour la "fille morte" en tant que figure centrale du cinéma américain et de la télévision. Comme l'écrit l'universitaire Alice Bolin, Twin Peaks était la série originale sur les "filles mortes", et sa popularité a prouvé que les téléspectateurs américains avaient un appétit pour ce type d'histoire. Certes, la série suivait l'agent Dale Cooper (joué de manière emblématique par Kyle MacLachlan) dans sa tentative de résoudre le crime, mais elle explorait également l'impact émotionnel du meurtre sur l'ensemble de la communauté de la petite ville, un trope qui la distinguait de toutes les séries policières précédentes et qui a refait surface dans d'innombrables fictions depuis.

Dans les décennies qui ont suivi, d'innombrables séries ont été structurées autour d'un seul mystère, généralement la mort d'une fille. Pensez-y : qu'ont en commun The Killing, True Detective, Sharp Objects, Top of the Lake et Mare of Easttown ? Elles commencent, comme Twin Peaks, par la découverte du corps d'une jeune fille morte, et elles utilisent ce mystère comme catalyseur pour explorer un territoire thématique provocateur, tout comme la série de Lynch et Frost.

La Loge Noire, la Chambre Rouge : Le surréalisme à la télévision

Plus que la révélation de l'identité de l'assassin de Laura Palmer, Twin Peaks raconte la lutte d'une petite ville de Washington contre une force surnaturelle obscure, l'esprit maléfique du tueur BOB du Black Lodge. En explorant cette guerre métaphysique, la série a apporté l'une de ses plus profondes innovations : l'incorporation du surréalisme à la télévision. Certaines des scènes les plus célèbres du show de Lynch se déroulent dans la "Red Room", un espace extradimensionnel mystérieux où vivent des esprits et où l'on parle à l'envers. Cooper se rend dans cette pièce plusieurs fois au cours de la série, à la fois dans ses rêves et à travers un portail dans les bois. Ici, les règles normales du temps et de la narration ne semblent pas s'appliquer.

D'autres séries ont depuis suivi les traces de la série culte, en incorporant du matériel surréaliste ou surnaturel et des séquences de rêve. Fringe, The OA et X-Files sont manifestement influencées non seulement par le cadre et le style visuel de Twin Peaks, mais aussi par son penchant pour les moments de réflexion. Twin Peaks: The Return a repoussé encore plus loin les limites de la télévision. L'un des épisodes, la huitième partie, était constitué de 58 minutes de visuels étonnants et déroutants, pratiquement déconnectés de l'intrigue jusqu'alors. Entertainment Weekly l'a décrit comme "'Le David Lynch à l'héroïne' qu'on nous avait promis".

Plus de fins heureuses

L'aspect le plus révélateur du succès de Twin Peaks est peut-être le fait qu'elle ait pu revenir, comme Laura Palmer l'avait promis, "dans vingt-cinq ans" (à peu près), et être encore accueilli avec autant d'enthousiasme. Peu de séries ont pu profiter de leur popularité aussi longtemps. Après la fin glaçante de la deuxième saison, Cooper a été piégé dans la Black Lodge et remplacé par son double maléfique, et certains se sont demandés si Lynch allait enfin donner à l'agent Cooper et à la ville de Twin Peaks une fin heureuse dans Le Retour ?

Si la série originale était une leçon, nous aurions dû connaître la réponse : un bon gros non. D'autres séries de prestige avaient depuis suivi l'exemple de Lynch et opté pour des fins bien plus sombres et ambiguës que ce que l'on attendait de la télévision. Lorsque Cooper dit "En quelle année sommes-nous ?", le public réalise, avec une horrible impression de déjà-vu et le son du cri le plus épique jamais vu à la télévision, qu'il ne s'agit pas d'une "fin heureuse". Une fois de plus, les choses ont mal tourné pour Dale Cooper, mais elles ont bien tourné pour la télévision. L'avenir nous dira comment le média continuera à évoluer en réponse à ce dernier (peut-être dernier) épisode de Twin Peaks. Une chose est sûre, cependant : les gens en parleront encore dans trente ans.

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