Chuck Patton est un dessinateur qui aura marqué les années 80. Repéré par le responsable éditorial de DC Comics, Dick Giordano, Patton passera une bonne partie des 80s à illustrer la plupart des séries de l'éditeur de Batman et Superman. Que ce soit Batman lui-même, Green Lantern, Green Arrow, les Titans, les Omega Men, Vigilante ou encore Creeper, il aura prêté son crayon à un grand nombre de personnages de la firme. Surtout, il fut le dessinateur régulier de la série Justice League of America entre 1983 et 1985, illustrant la fin de la période classique (où les sept membres fondateurs sont présents) et le début d'une période de renouvellement, dite de la Justice League Detroit, où l'équipe ne comporte plus de héros de premier plan. Une période controversée sur laquelle nous avons pu revenir avec lui (de façon bien trop courte) et qui permet d'aborder aussi le sujet très actuel de la représentativité dans l'industrie des comic books.

Chuck Patton (MUBI)

Superpouvoir : Comment as-tu débuté dans l’industrie des comics ? Quels ont été tes maîtres à penser, tes inspirateurs ?

Chuck Patton : J'étais un des douze artistes débutants  du New Talent Workshop (atelier des nouveaux talents) du légendaire encreur et éditeur de DC Comics, Dick Giordano. Il était notre guide pour devenir des professionnels. Cela m'a pris environ trois ou quatre mois avant qu'il m'estime prêt et me donne un épisode de The Brave & The Bold (#198, mai 1983, ndlr). Le premier artiste qui était prévu venait de mourir.

Un des premiers travaux de Chuck Patton fut une rencontre entre Batman et Karate Kid écrite par Mike W. Barr. Extrait de The Brave and the Bold #198 par Patton, Hoberg, Roy & Klein (DC Comics).

Mes principales influences dans les comics sont John Buscema, Jack Kirby, Gil Kane, Neal Adams, Russ Manning, Wally Wood et Richard Corben. J'y ai ajouté ensuite José Luis Garcia-Lopez. J'ai toujours été attiré par les dessinateurs et narrateurs puissants.

Superpouvoir : Tu as participé à la création d’une période particulière de la Justice League, celle de Detroit, où l’équipe n’avait plus ses Big Guns et avait de nouveaux membres comme Vixen, Gypsy ou encore Vibe. Comment s’est passé le travail sur ce projet avec Gerry Conway ? Quelles ont été tes contributions ?

Chuck Patton : Ce fut mi-figue, mi-raisin : un grand bonheur au début et ensuite, beaucoup de frustration. Au commencement, c'était une collaboration à parts égales entre Gerry et moi, autant pour la création des personnages, leurs histoires personnelles que pour les bases de la série. Mais une fois que la production a démarré, Gerry a commencé à rendre des scripts sans aucune contribution de ma part et j'ai été dissuadé de m'investir autrement qu'en illustrant le titre. Initialement, nous avions développé le concept ensemble et je pensais que ça durerait tout au long de la série. Deux personnages  étaient de ma création (Vibe et Gipsy, ndlr), tout comme pour Gerry (Commander Steel et Vixen, ndlr), le reste du groupe étant constitué de membres de la League sans séries régulières.

Après avoir dissout la Justice League, Aquaman décide de donner sa chance à une nouvelle formation incluant de nouveaux membres : Gipsy, Vibe, Commander Steel et Vixen. Couverture de Justice League of America Annual #2 par Patton & Giordano (DC Comics).

Superpouvoir : Cette équipe était plus multiculturelle qu’auparavant. Aujourd’hui, c’est très courant, mais beaucoup moins à l’époque. Comment as-tu vécu les réactions pas forcément positives de l’époque ? As-tu l'impression que vous étiez en avance sur votre temps ?

Chuck Patton : J'étais très satisfait par la direction que nous prenions. Avec la popularité des X-Men et des [New] Teen Titans à l'époque, ça semblait logique d'avoir une Justice League plus jeune, plus renouvelée. Nous n'étions pas en avance, mais assurément dans la même dynamique, le même air du temps.
Dans l'ensemble, j'ai vraiment apprécié la réaction des fans, mais j'ai été déçu par nos propres efforts après les quatre premiers numéros. J'avais l'habitude de travailler avec mon responsable éditorial Len Wein et de lui soumettre des idées. Lorsqu'il est parti, après le début de la série, la situation a changé et le nouvel éditeur [Alan Gold, ndlr], qui était lui-même débutant, ne m'a ni encouragé, ni autorisé à donner mon avis. Mon enthousiasme s'est donc rapidement envolé et j'ai cherché un autre titre sur lequel m'engager.

Le personnage de Vibe a été conçu à partir de la mode 80s du breakdancing, ce qui a contribué à l'idée que le traitement des nouveaux personnages était plutôt stéréotypé. Extrait de Justice League of America #233 par Conway, Patton, Anderson, D'Angelo et Oda (DC Comics).

Je croyais dans la direction que nous avions prise, malheureusement je n'ai pas été satisfait de la manière dont cela a été fait.

Superpouvoir : Aujourd’hui, avec les anthologies comme Marvel Voices, les éditeurs communiquent sur l’origine de leurs artistes. Durant ta carrière dans les années 80, as-tu eu l’impression d’être invisibilisé ? Plus généralement, comment était-ce d’être un homme noir dans une industrie relativement blanche ?
Chuck Patton : C'est une question intéressante. Je ne dirai pas que j'ai pu être invisible car j'ai souvent été la seule personne de couleur dans de nombreuses salles de réunions créatives. Il était donc difficile de ne pas me remarquer.
En revanche, je me sentais souvent très seul. Je savais que j'avais un défi à relever en arrivant dans une industrie où il n'y a pas beaucoup de personnes de couleur sur les titres importants et où elles ne  bénéficient que d'une publicité minime, voire pas de publicité du tout, comme j'en ai fait l'expérience sur JLA.
J'ai choisi d'attirer l'attention moins par ma couleur de peau que par la valeur de mon travail et de mon talent. L'expérience et la confiance que j'en ai retiré m'ont vraiment aidé par la suite, notamment lorsque je suis passé de la bande dessinée à l'animation.

La nouvelle équipe bénéficie de l'assistance de l'ingénieur Dale Gunn auquel Chuck Patton prête ses propres traits. Extrait de JLA Annual #2 par Conway, Patton, Hunt, Gafford & Oda (DC Comics).

Superpouvoir : Après Justice League of America, tu n’as pas retrouvé de titres réguliers. Pourquoi as-tu quitté le monde des comics ?

Chuck Patton : Franchement, l'animation offrait plus d'opportunités créatives et de réels avantages financiers, avec un bien meilleur salaire que ce que je recevais dans la bande dessinée.

L'un des derniers travaux d'importance de Patton pour DC Comics fut un serial consacré à Nightwing. Cela n'empêchera pas Patton de s'éloigner du monde des comics, malgré le soutien du scénariste Marv Wolfman. Extrait d'Action Comics #618 par Wolfman, Patton, Poston, DeGuzman & Roy (DC Comics).

Superpouvoir : Merci d'avoir répondu à nos questions, Chuck !
Malgré un rapide passage chez le concurrent Marvel (pour des pages de Daredevil ou de Classic X-Men), Chuck abandonnera donc  l'industrie des comic books à la fin des années 80 pour se tourner vers l'animation. Un domaine plus lucratif, mais qui lui permettra également de poser sa marque. Il travaillera ainsi sur G.I. Joe, Inspector Gadget Saves Christmas, Scooby-Doo, sur la multi- récompensée série Spawn et bien d'autres souvent en lien avec les comics (Teen Titans, Batman : L'Alliance des héros, Ben 10, X-Men Evolution, Les Tortues Ninjas). Il s'est aussi distingué dans le domaine du jeu vidéo, notamment chez Visceral Games, mais ça c'est une autre histoire qui vous sera contée plus tard !

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