À peine le nouvellement appointé Éditeur en Chef de Marvel a-t-il atterri à New York qu'une polémique s'est faite jour. En cause, un pseudonyme qui, pour certains, a du mal à passer : Akira Yoshida.
Entre 2004 et 2006, Marvel Comics a publié plusieurs projets signés par le scénariste Akira Yoshida. Parmi eux, Thor, Son of Asgard, Elektra: The Hand, Wolverine: Soultaker, X-Men: Kitty Pryde: Shadow & Flame. Des projets aux personnages très exposés et aux tons et esthétiques très japonisants. Et pour cause. Officiellement, Akira Yoshida est un scénariste japonais qui travaille pour Marvel. En cela, rien de bien anormal. A cette époque, Marvel tente de surfer sur la vague de la mode manga et n'hésite pas à s'adjoindre les services de talents comme Kia Asamiya (Uncanny X-Men) ou Tsutomu Nihei (Wolverine: Snikt!), notamment grâce au japanophile éditeur C.B. Cebulski. Dans ce contexte, qu'un scénariste japonais ait trouvé son chemin vers des séries Marvel n'a donc rien d'étonnant. Pourtant, la carrière américaine d'Akira Yoshida sera météoritique, à peine deux années donc, avant de disparaitre purement et simplement.
En fait, dès 2005, des rumeurs courent. Akira Yoshida n'existerait pas et ne serait qu'un pseudonyme. Il faut dire que personne ne le voit et qu'il n'existe pas de photos. De quoi alimenter les théories de conspirations, alors que, pourtant, des éditeurs comme Mike Marts, et donc C.B. Cebulski, jurent leurs grands dieux de son existence. Bref, si l'identité d'Akira Yoshida est sujette à caution, le mystère restera entier une bonne dizaine d'années. Jusqu'à la nomination de C.B. Cebulski comme Editeur en Chef de Marvel. David Brothers, directeur de la marque chez Image Comics, lance alors un tweete assassin demandant pourquoi le nouveau Editeur en Chef de Marvel "a choisi le nom de plume d'Akira Yoshida pour écrire une poignée de titres japonisants aux débuts des années 2000".
Le secret éventé, des explications s'imposent. Si C.B. Cebulski a pris un pseudonyme, c'est d'abord pour pouvoir écrire en dehors de Marvel, notamment chez Dreamwave. Repéré par un éditeur de la Maison des Idées, il laisse le mensonge perduré car l'Editeur en Chef de l'époque, Joe Quesada, a instauré une règle qui ne permet plus à un éditeur d'écrire pour un titre de la firme. La pratique était monnaie courante auparavant, permettant au rédacteur des X-Men d'écrire pour Avengers, tandis que celui des Avengers pouvait écrire un titre comme X-Men Adventures pour le compte du premier. Des pratiques parfois complaisantes que Quesada voulait réduire. Dans ce contexte, Cebulski se garde bien de révéler la supercherie. Il finira pourtant par le faire, en renégociant son contrat. Il deviendra Talent Manager et sera autorisé à écrire en gardant son véritable nom (pour Loners par exemple). Une histoire réglée en interne donc, et qui a failli rester un secret de famille jusqu'à la nomination de Cebulski à son nouveau poste, l'exposant aux déterreurs d'affaires.
Bien sur, l'affaire Yoshida-Cebulski est avant tout une histoire de fraude entre un employé et son entreprise. Ce n'est pourtant pas la première fois que ça arrive. En leurs temps, des gens comme Gene Colan ou Werner Roth avaient pris des pseudos pour pouvoir travailler chez Marvel en ménageant leur employeur régulier, DC Comics. Là où ça passe moins pour certains, c'est que l'usurpation a un caractère racial. Un Américain se faisant passer pour un Japonais, c'est une tromperie sur "l'authenticité culturelle" de ses scripts. Dans un pays où les tensions raciales et culturelles sont de nouveau sur le devant de la scène, l'affaire fait vibrer une corde sensible. Nombreux sont ceux qui se sont déjà élevés contre le "whitewashing" de certains films (notamment La Grande Muraille ou Exodus) et ont vus, dans l'affaire, un retour du "yellowface", cette pratique consistant, dans de nombreux long-métrages, à grimer des acteurs américains en personnages asiatiques. Ce serait pourtant méconnaître la passion pour la culture japonaise de Cebulski et qui parle même la langue. D'ailleurs, il a reçu le soutien de Sana Amanat, la directrice du développement des contenus et personnages chez Marvel, qui s'est exprimée sur la chaîne NewsAsia: "Nous devons arrêter de rejeter les personnes capable de promouvoir [la diversité]. Sinon, nous créerons une profonde fracture entre les cultures. Nous devons commencer à communiquer et non pas être si en colère." Et difficile de soupçonner la co-créatrice de la nouvelle Ms. Marvel de ne pas connaitre le sujet.
Source: Bleeding Cool